Document 1 : Feu roulant, tir de barrage,
rideau de fer, mines, gaz, tanks, mitrailleuses, grenades, ce sont là
des mots, des mots, mais ils renferment toute l'horreur du monde. Nos
visages sont pleins de croûtes notre pensée est anéantie
; nous sommes mortellement las. Lorsque l'attaque arrive, il faut en
frapper plus d'un à coups de poing pour qu'il se réveille
et suive (...).
Sont-ce des semaines, des mois ou des années qui passent ici
? De simples journées. Nous voyons le temps disparaître
à côté de nous sur le visage des mourants. (...)
Nous voyons des gens, à qui le crâne a été
enlevé, continuer de vivre ; nous voyons courir des soldats dont
les deux pieds ont été fauchés ; sur leur moignons
éclatés, ils se traînent en trébuchant jusqu'au
prochain trou d'obus ; un soldat de première classe rampe sur
les mains pendant deux kilomètres en traînant derrière
lui ses genoux blessés ; (...) le soleil se lève, la nuit
arrive, les obus sifflent ; la vie s'arrête.
Cependant, le petit morceau de terre déchirée où
nous sommes a été conservé, malgré des forces
supérieures et seules quelques centaines de mètres ont
été sacrifiées. Mais pour chaque mètre,
il y a un mort.
Erich Maria Remarque,
A l'Ouest rien de nouveau, 1928.
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Document
2 : Nous sommes devenus des animaux
dangereux, nous ne combattons pas, nous nous défendons contre
la destruction. Ce n'est pas contre des humains que nous lançons
nos grenades, car à ce moment-là nous ne sentons qu'une
chose : c'est que la mort est là qui nous traque, sous ces mains
et ces casques. C'est la première fois depuis trois jours que
nous pouvons la voir en face ; c'est la première fois depuis
trois jours que nous pouvons nous défendre contre elle. La fureur
qui nous anime est insensée ; nous ne sommes plus couchés,
impuissants sur l'échafaud, mais nous pouvons détruire
et tuer, pour nous sauver... pour nous sauver et nous venger.
Repliés sur nous-même comme des chats, nous courons, tout
inondés par cette vague qui nous porte, qui nous rend cruels,
qui fait de nous des bandits de grand chemin, des meurtriers et, si
l'on veut, des démons. Cette vague qui multiplie notre force
au milieu de l'angoisse, de la fureur et de la soif de vivre, qui cherche
à nous sauver et qui même y parvient. Si ton père
se présentait là avec ceux d'en face, tu n'hésiterais
pas à lui balancer ta grenade en pleine poitrine.
Erich Maria Remarque,
A l'Ouest rien de nouveau. |
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3 : les difficultés de la vie quotidienne La boue " Très curieux,
la tranchée. On est stupéfait de découvrir ces
kilomètres de ruelles, si étroites que les bords du sac,
le bidon, les musettes et les manches y frottent et y cognent. Quelle
vie ? La boue, la terre, la pluie. On en est saturé, teint, pétri.
On trouve de la terre partout, dans ses poches, dans son mouchoir, dans
ses habits, dans ce qu'on mange. C'est comme une hantise, un cauchemar
de terre et de boue, et vous ne sauriez avoir idée de la touche
que j'ai : mon fusil a l'air d'être vaguement sculpté dans
la terre glaise. " H. Barbusse, Lettres
à sa femme. La nourriture Truffau apporte la nourriture
des cuisines situées à l'arrière du front.
" On est crevé, on n'en peut plus. Pas de café, on
a chaviré en route. Ils ne protestent pas, ils savent que tout
est misère dans ce monde de misère. Ils remplissent leurs
gamelles et mangent silencieusement leur ratatouille froide -boeuf bouilli,
pommes de terres vinaigrées- en cherchant à se préserver
de l'eau et de la terre ; mais ils ont les mains glaiseuses, et le pain
qu'ils ont touché crie sous leurs dents. " P. Truffau, Carnet d'un combattant,
Payot, 1917. Les rats " Les rats sont ici
particulièrement répugnants, du fait de leur grosseur.
C'est l'espèce qu'on appelle "rats de cadavres". Ils
ont des têtes abominables, méchantes et pelées,
et on peut se trouver mal, rien qu'a voir leurs queues longues et nues.
Ils paraissent très affamés. Ils ont mordu au pain de
presque tout le monde. Kropp tient le sien enveloppé sous sa
tête, mais il ne peut dormir parcequ'ils lui courent sur le visage
pour arriver au pain. Dans le secteur voisin, les rats ont assailli
deux gros chats et un chien qu'ils ont tués et mangés.
" Erich Maria Remarque,
A l'Ouest rien de nouveau.
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4 : Nous avons refusé
de monter en ligne, nous n'avons pas voulu marcher, et beaucoup d'autres
régiments ont fait comme nous. (...) Ils nous prennent pour des
bêtes, nous font marcher comme cela et pas grand-chose à
manger, et encore se faire casser la figure pour rien ; on aurait monté
à l'attaque, il en serait resté la moitié et on
aurait pas avancé pour cela. Peut-être que vous ne recevrez
pas ma lettre, ils vont peut-être les ouvrir et celles où
on raconte ce qui se passe, ils vont les garder ou les brûler...
Moi je m'en moque, j'en ai assez de leur guerre... Lettre d'un soldat de
la 7ème compagnie du 36ème régiment d'infanterie
conservée au contrôle postal.
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